Lors de notre passage à la clinique de Laval il y a quelques jours, le médecin spécialiste Jad Hobeika lui a annoncé une bonne nouvelle. Nous avons exclu beaucoup de choses dans votre cas : pas d’asthme, pas de BPCO, pas d’anémie, vous n’êtes pas malade, a-t-il expliqué. Mme Tardif a conduit plus de sept heures et payé plusieurs centaines de dollars pour ses deux rendez-vous. Elle ne regrette pas son choix. Je fais plus attention à ma santé qu’avant, confie Mme Tardif. La patiente Sophie Tardif rencontre un pneumologue du Groupe Médical Lacroix. Photo : Radio Canada

Record de 784 000 demandes en attente

Prendre rendez-vous avec un médecin spécialiste du réseau public demande une patience sans précédent depuis quelques années. Selon les derniers chiffres du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), il y avait 784 000 demandes en attente pour toutes les spécialités en août, en hausse de 60 % par rapport à septembre 2020. Le délai moyen pour prendre un rendez-vous était de 267 à 381 jours. En respiratoire seulement, plus de 27 000 demandes étaient en attente au Québec avec un délai moyen de 322 jours (46 semaines). Une situation qui contredit ce que la Clinique Laval dit vivre. En ce moment, j’ai une à deux semaines de retard pour un premier rendez-vous, explique le pneumologue Jad Hobeika. Diplômé en médecine interne et pneumologie depuis 2016, il s’est joint à Lacroix Medical Group en janvier 2022 après avoir passé quelques années dans le secteur public, où il a été principalement chef du département de pneumologie au CISSS du Grand Montréal. Dans le public, nous avons vu des patients atteints de cancers et des urgences en quelques semaines. Sinon, pour les autres on parlait de mois ou d’années d’attente […] Je n’étais pas à l’aise avec le nombre de patients sur la liste d’attente, explique-t-il. Selon le Dr Hobeika, il y a un problème d’accessibilité dans le système qui me permet de combler un peu le secteur privé […] Nous ajoutons une offre pour les patients qui peuvent venir nous voir sans référence, obtenir un deuxième avis, avoir accès à des rendez-vous rapides, avoir des tests diagnostiques rapides.
Jad Hobeika, Pneumologue, Groupe Médical Lacroix Photo: Radio-Canada / Davide Gentile Comme le souligne le directeur général de Lacroix Medical Group, Jean-Nicolas Chagnon, la demande est là. […] La croissance est exponentielle chaque année. Les gens ont besoin de services rapidement et nous offrons l’accessibilité, en complément du réseau public, ajoute-t-il. Une infirmière spécialisée en santé mentale a rejoint l’équipe au début de l’été, ainsi qu’un médecin généraliste. Tous deux apprécient la liberté professionnelle que leur laisse leur employeur et démystifient également le mythe selon lequel seuls les riches fréquentent le secteur privé. Au contraire, on voit de tout, même des patients de l’aide sociale qui ont économisé pour venir consulter, souligne Émie Gervais, médecin généraliste dans le secteur privé depuis l’obtention de son diplôme il y a six ans. Après des débuts modestes dans la région de Québec, Lacroix Groupe Médical compte aujourd’hui 90 médecins répartis dans dix cliniques à travers le Québec, deux blocs opératoires, un laboratoire privé et près d’une centaine d’employés.

555 médecins facturent sans passer par la RAMQ

Les médecins qui font le saut vers le secteur privé sont en hausse au Québec. Y exerçant parfois à temps plein, sinon en alternance avec leur pratique dans le réseau public. Selon les plus récents chiffres de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), le nombre de médecins spécialistes qui ont fait le saut vers le secteur privé au cours des cinq dernières années a augmenté de 55 %, pour atteindre 178 médecins. Il y a principalement des dermatologues, des chirurgiens plasticiens, mais aussi des anesthésistes, des gynécologues, des radiologues, des psychiatres et une poignée de pneumologues, comme le Dr Hobeika. Les médecins de famille sont également plus susceptibles de faire le saut vers le secteur privé. Au cours des cinq dernières années, leur nombre a augmenté de 27 %, à 377 médecins. Globalement, la part des médecins exerçant hors système d’assurance maladie se dirige vers 3 %, contre moins de 2 % au milieu des années 2010. Il y a plus de 21 000 médecins au Québec. Un médecin qui décide de travailler dans le secteur privé à titre de médecin non participant doit notamment en aviser la RAMQ, informer ses patients qu’ils doivent assumer la totalité des honoraires et afficher les prix dans la salle d’attente de la pratique. Selon les données du MSSS, il existe 22 centres médicaux spécialisés où exercent exclusivement des médecins non participants.

réactions

En mars 2022, le groupe Médecins québécois pour le régime public publie un communiqué rappelant son inquiétude face aux ambitions du secteur privé. « Chaque professionnel de la santé œuvrant dans le secteur privé est un professionnel de la santé de moins dans le réseau public. » — Un extrait de Médecins du Québec sur le statut public, mars 2022 Un médecin qui travaille à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé peut référer ses propres patients qui se rendent dans le secteur public pour prodiguer des soins dans le secteur privé et augmenter ses revenus. […] Elle soulève d’importantes questions éthiques en raison du conflit d’intérêts flagrant qu’elle engendre, écrit-il. À l’Institut d’économie de Montréal, on prône plutôt la libéralisation du système de santé, notamment en levant l’interdiction de la double assurance-maladie et en supprimant les restrictions à la mixité des pratiques. En 2005, la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Chaoulli que lorsque les Québécois n’ont pas accès aux soins de santé publics dans un délai raisonnable, ils devraient pouvoir souscrire une assurance privée. La loi sur l’assurance-maladie a ensuite été modifiée pour autoriser l’assurance privée, mais uniquement pour les chirurgies du genou, de la hanche ou de la cataracte.

Positions du parti

Depuis le début de la campagne électorale, la plupart des partis politiques se sont prononcés en faveur de l’augmentation ou de la diminution de l’externalisation des chirurgies au secteur privé à l’aide de la carte d’assurance maladie. Un phénomène qui atteint environ 15% du volume depuis le début de la pandémie. Le Parti conservateur du Québec (PCQ), notamment, explorera graduellement la possibilité de donner aux Québécois le libre choix d’adhérer à une assurance complémentaire privée pour recevoir des soins de santé déjà couverts par le régime d’assurance maladie.