En théorie, tout est sous contrôle. En théorie, dans le monde de la méthanisation, lorsqu’une installation présente un risque important, la réglementation se durcit et les contrôles se multiplient pour prévenir toute atteinte à la santé humaine ou animale, à la faune ou à la flore. De fait, les méthanistes bretons accumulent les déviations. L’absence de vérification est générale. Ainsi, chacun peut faire ce qu’il veut sans crainte de sanction, malgré les risques de pollution des cours d’eau, d’ivresse ou même d’explosion. Les journalistes d’investigation réunis dans le collectif Splann ! réaliser une étude multi-sites sur l’environnement de la méthanisation en Bretagne. Après une enquête approfondie, voici les premières conclusions sur les contrôles des méthaniseurs :

Les méthaniseurs sont difficiles à maîtriser malgré des pollutions importantes et répétées. Parmi les rares usines de méthanisation inspectées en 2020 en Bretagne, 85 % n’avaient pas mis en place les moyens nécessaires pour limiter les risques d’accidents et de pollution. Un méthaniseur sur trois agrandit cinq ans après sa construction, selon la stratégie du fait accompli.

Sept incidents de pollution ont été enregistrés, neuf inspections, trois mises en demeure et une condamnation ont été documentées. La centrale de méthanisation d’Arzal, commune littorale du Morbihan, a déversé à plusieurs reprises le contenu d’une de ses cuves dans le ruisseau du Kerollet, étouffant les poissons. L’Union des eaux et fleuves de Bretagne a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Une inspection de la direction départementale de la protection des populations, la DDPP, a constaté en 2018 que le digesteur, autorisé à absorber 28 tonnes de déchets par jour, en consommait en réalité 43 tonnes. Un changement de régime potentiellement illégal. Autre délit : aucun contrôle n’a été effectué sur la qualité des eaux rejetées dans le milieu naturel. Entre 2012 et 2020, la ferme passera de 150 à 466 vaches laitières et le gazogène de 28 à 76 tonnes de capacité. C’est un triplement de volume en moins de dix ans. Ce n’est que lorsque son travail est terminé que l’opérateur demande que la situation soit réglée. Celle-ci a été accordée en 2021, mais fait toujours l’objet d’une action en justice par Eau et rivières de Bretagne, qui dénonce une manœuvre consistant à « blanchir une situation criminelle ». “L’éthique, si vous êtes agriculteur, allez-y, on garde les services, on s’arrangera et on vous soutiendra”, résume amèrement l’avocat de l’association écologiste, Brieuc Le Roc’h. Le commerce fait l’objet d’une nouvelle mise en demeure de la préfecture à partir de juin 2022. Rechercher. La méthanisation en Bretagne : une croissance maîtrisée ? Une enquête Splann ! • © Jean Leveugle – Savoir Voyager
Bruno Calle, directeur de la SARL des Moulins de Kerollet, cite des erreurs de jeunesse liées à son statut de pionnier de la méthanisation. “Bien sûr, nous avons fait des erreurs, mais nous les avons corrigées. Depuis les deux incidents de pollution, des dispositifs de sécurité ont été installés pour prévenir de nouveaux accidents. Et l’espace a été scellé au-delà des exigences de la réglementation en vigueur », décrit l’éleveur laitier. Des « malheurs » qui feraient du bien, selon l’éleveur. Ils auraient sauvé des collègues de ces erreurs. Bruno Calle participe ainsi à l’encadrement des responsables du projet avec l’association des défunts britanniques, en collaboration avec la chambre régionale d’agriculture et l’association AILE. “J’en ai accompagné près d’une trentaine ces cinq dernières années”, vante l’ancien président de la FDSEA du Morbihan. Plus à l’ouest, des habitants du Finisterre Sud se souviennent d’avoir été sans eau potable en août 2020 pendant près d’une semaine. Le méthaniseur industriel de Châteaulin (29) avait rejeté 400 m³ de digestat, les déchets de cette production de gaz, à Aulne, affectant l’eau distribuée au robinet. Un incident qui s’est également produit dans le sud-ouest de la France, dans les Landes, six mois plus tard. Cette fois, 850 m³, soit le double, se sont déversés dans les cours d’eau. En juin 2019, un gazogène non encore opérationnel explose à Plouvorn dans le Finistère. Une boule de feu est visible au-dessus de l’emplacement. 40 pompiers sont mobilisés et nous sommes désolés pour un blessé léger, deux personnes choquées, un pompier évanoui et une frayeur. Le rapport d’incident indique : Le dossier technique de sécurité qui devait être établi avant la mise en service n’avait pas été transmis à la direction. […] L’accident révèle une sous-estimation des risques […]. Après l’accident, [l’exploitant] veut démarrer l’exploitation de l’usine de méthanisation [avec seulement une partie du matériel, NDLR]sans attendre la reconstruction de la fonderie [détruit par l’accident] “. La rentabilité avant la sécurité. Cette centrale de méthanisation est la plus importante de la région de Morlaix avec 45 000 tonnes de déchets consommés annuellement. Elle est dirigée par 32 entreprises, agricoles et non agricoles. Sans contrôle ni sanction, à quoi bon respecter la loi et envoyer les dossiers techniques requis ? Ceci est reconnu noir sur blanc par l’État et la Région dans un courrier adressé à l’Autorité environnementale en 2019 : Les pouvoirs adjudicateurs, confrontés à l’absence de moyens de contrôle et de suivi de certaines mesures d’évitement, ont choisi de ne pas les adopter. » Cependant, la méthanisation est une technologie récente et fragile qui mérite d’être surveillée. Le service de veille des risques industriels du Département de la transition écologique a publié, en septembre 2021, un état des lieux des accidents du secteur. Elle en recense 130 en France, entre 1996 et 2020. Dans 77 % des cas, il y a rejet de matières dangereuses ou polluantes. ” C’est le phénomène majoritaire, suivi du feu “, explique l’auteur du reportage, Aurélie Baraër. Son erreur lacunes dans la gestion des risques et la formation des opérateurs “. Il estime qu’un défaut matériel est la principale cause de ces incidents. Un diagnostic fait déjà en 2018 par son service : Les accidents récents montrent que nous sommes dans un secteur totalement structuré qui n’a pas encore mûri. Des erreurs de conception témoignent de cette situation. » Mais cet inventaire n’est pas exhaustif, il suffit de lire la presse pour s’en rendre compte. Sur cinq polluants issus de la centrale de méthanisation d’Arzal, un seul est recensé dans l’inventaire ministériel. Le National Science Council on Anaerobic Digestion, CSNM, qui regroupe les scientifiques concernés par cette technologie telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, tient ses propres comptes. Elle estime à 315 le nombre d’incidents en France. Près de trois fois plus que les agences de l’Etat, sur la même période. Les conséquences de ces événements sont essentiellement environnementales et affectent principalement les cours d’eau. Des cours d’eau ont également été tracés pour approvisionner la population. A cela s’ajoutent les conséquences sanitaires car le résidu digéré, produit de la méthanisation, est épandu comme engrais au sol et peut être vecteur de maladies (lire la recherche Splann ! : “Les méthaniseurs, potentiels clusters de maladies de demain”). Pour éviter ces risques, la réglementation établit des garde-fous. ” Il doit être vu comme une aide à la réflexion sur son installation et non comme une limitation, estime Anne-Marie Pourcher, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à ​​Rennes, et experte en pathogènes. ” L’origine des différents déchets devenant complexe, nous « assurons l’hygiène », c’est ce que prévoit la réglementation. Grâce à cela, nous réduisons les risques pour la santé. Par exemple, les déchets animaux, la graisse, les intestins, sont parmi les meilleurs ingrédients pour la production de gaz. Mais ils peuvent également faire circuler des agents pathogènes et transmettre des maladies. Pour éviter ce risque, la réglementation peut exiger que ces déchets soient traités à 70°C pendant une heure pour tuer les agents pathogènes. Mais ce n’est pas obligatoire si le volume total de déchets animaux et végétaux est inférieur à 30 000 tonnes par an. Cette dérogation s’applique à la quasi-totalité des méthaniseurs bretons. C’est bien car la température à 70°C est très chère, au point que la rentabilité d’une installation est compromise. Toutes les unités de méthanisation sont des ICPE, Installations Classées pour l’Environnement. Il existe trois niveaux de réglage. Le régime « d’autorisation », le plus contraignant et contrôlé, concerne les installations qui consomment plus de 100 tonnes de matières premières par jour. Celui de « l’immatriculation » concerne un volume compris entre 100 et 30 tonnes par jour. Enfin, le régime plus léger de « déclaration » couvre les emplacements…