Personne n’avait écrit cette histoire. Du moins pas si vite. Si sa trajectoire exponentielle laissait peu de doute sur sa capacité à régner dans un avenir prévisible, peu l’auraient imaginé, il y a quinze jours, avec la cape du nouveau maître du monde du tennis sur le dos à la fin de New York. Rencontre.
Dimanche 11 septembre, Carlos Alcaraz a prouvé que l’épithète “précoce” lui était étrangère en battant le Norvégien Casper Ruud (6-4, 2-6, 7-6) en finale de l’US Open. [7-1], 6-3). Le premier titre du Grand Chelem d’une carrière qui s’annonce aussi insatiable que son sourire carnassier. A 19 ans et quatre mois, il devient, en prime, le plus jeune n°1 mondial de l’histoire, évinçant l’Australien Lleyton Hewitt, sacré à 20 ans et huit mois (en 2001).
Le scénario était sans précédent : jamais auparavant une finale de Grand Chelem n’avait opposé deux joueurs en position d’ouvrir leur record de Grand Chelem et de s’asseoir sur le trône mondial dans la foulée. Pour l’Espagnol et le Norvégien de 23 ans, le poids de l’histoire pesait lourd sur leurs épaules alors qu’ils pénétraient dans le stade Arthur-Ase au toit en pente.
Après avoir remporté le premier set, son protégé Juan Carlos Ferrero est soudainement devenu moins précis, son explosivité s’attardant dans le vestiaire. De l’autre côté du filet, Kasper Ruud a mis son plan à exécution : tenir son adversaire le plus loin possible, jouer avec profondeur et rigueur. Dans le troisième set, le junior a souvent été sur le fil, révélant sa frustration là où son adversaire n’était que flegme. Le jeu du Norvégien n’excitera probablement jamais les foules, même si dimanche, il a souvent eu le dernier mot dans les endroits les plus impressionnants.
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Alcaraz a retrouvé sa passion dans le bris d’égalité du troisième set et n’allait pas s’en éloigner. “Ce n’était pas le moment de se fatiguer, quand tu arrives à la fin d’un tournoi il faut laisser tout ce qu’il te reste sur le court”, réagit le vainqueur, encore 141e mondial début 2021, devant 23 000 spectateurs depuis longtemps conquis.
Enivrant demain
Il n’y a pas si longtemps, certains ne donnaient pas grand-chose du monde de demain, promettant une ère d’ennui, où les trois héros du début du XXIe siècle tireraient leur révérence. Dans l’ombre de Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic, le tennis ne serait plus qu’un spectacle insipide et banal. Des apprentis désabusés ont enterré un sport censé ne plus répondre aux standards de la modernité, surtout l’erreur des jeux sans fin. Ironie du sort, cette édition de l’US Open aura donné des engagements pour les deux catégories. La quinzaine new-yorkaise aura prouvé qu’on peut encore remplir les courts à ras bord, même au bout de la nuit, même après une myriade de matchs en cinq sets, sans que les spectateurs n’atteignent la limite de l’overdose. Tout comme les premiers rôles joués par une nouvelle génération talentueuse, menée par un jeune homme débridé, laissaient présager des lendemains grisants. Le tennis va bien, merci. Le tennis peut particulièrement plaire à Carlos Alcaraz. L’Espagnol avait déjà livré, dans la nuit de mercredi à jeudi, le meilleur match de la quinzaine, aux côtés de l’Italien Jannik Sinner (13e mondial), un peu plus âgé que lui (21 ans). Un quart de finale remporté par l’Espagnol dans le dernier temps jamais enregistré à l’US Open (2h50), après le deuxième match le plus long de l’histoire de l’épreuve. Depuis 5h15, les deux marmots frappaient la balle avec une intensité maximale, se partageant des coups, ou plutôt des attaques, à la fois rapides et féroces. Le duel impressionne et porte en germe une rivalité qui pourrait bien se régler sur le long terme. A lire aussi : L’article est pour nos abonnés de Roland Garros : Carlos Alcaraz, nouveau conquérant du tennis mondial
Visage d’adolescent, nerfs d’un vieux vétéran
Carlos Alcaraz en action lors de la finale de l’US Open, le 11 septembre 2022, à New York. MATTHIEU STOCKMAN / AFP
Contre Marin Cilic déjà, en huitièmes, Alcaraz avait annulé cinq sets. Le jeune d’El Palmar (province de Murcie) a toujours le visage d’un adolescent, mais les nerfs d’un vieux vétéran et le feu dans les bras. Après la fin de sa séquence de trois matchs à 13h28, il était “un peu fatigué, bien sûr, mais très heureux”. « Je repense à l’enfant que j’étais il y a dix ans, rêvant du moment que je vis. Vous devez poursuivre vos rêves. Le travail paie toujours”, a ajouté l’Espagnol après sa victoire en demi-finale face à la révélation de l’épreuve, l’Américaine Frances Tiafoe, 24 ans, qui a battu Nadal en huitièmes.
L’enfant apprend vite, très vite. Il y a un an, toujours classé 55e mondial, à la veille de disputer son premier US Open, l’adolescent aux bras maigres a dû jeter l’éponge en quart de finale après une série de matchs marathon. « L’an dernier, je n’avais disputé que trois tournois du Grand Chelem avant l’US Open et un seul match en cinq sets, c’était justifié à la veille de la finale. Aujourd’hui, je suis plus prêt, physiquement et mentalement. Depuis cet US Open, ce sont douze mois de travail intense, en salle et sur le court. Mais je dirais que la clé est surtout mentale. »
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L’ancienne n°1 mondiale Justine Henin se dit émerveillée par cette ascension vertigineuse. “Dans les tournois qui ont précédé Roland Garros, il nous a emmenés sur une autre planète avec son excellente séquence [demi-finale à Indian Wells, titres à Miami, Barcelone et Madrid], nous ne savions pas où cela s’arrêterait”, a déclaré le Belge au Monde cette semaine. L’Espagnol s’est finalement arrêté à Roland-Garros (défaite en quart de finale), alors que tout le monde l’imaginait déjà repartir avec la Coupe des Custodiens entre les mains. « C’est normal, il avait encore des choses à apprendre. Mais je n’étais pas inquiet pour l’avenir”, a poursuivi Henin.
jeu caméléon
Début 2020, “Carlitos” jouait toujours sur le circuit mineur. Il avait 16 ans, des affiches de Nadal étaient accrochées aux murs de sa chambre et affichaient le 490ème classement ATP. Contrairement au Majorquin, qui a écrasé la concurrence dès son plus jeune âge, Alcaraz a mis plus de temps à mûrir son talent. L’adolescent longiligne avait pourtant une palette technique bien plus complète que son aîné au même âge, mais avec tant d’options dans sa raquette, il ne savait pas toujours choisir la bonne au bon moment.
Depuis, il est devenu ce caméléon du jeu, capable d’adapter son tennis à tout type d’adversaire, et a bercé les époques qui passent, épousant souvent celles de son idole. Depuis le début de la saison, il a déjà récolté 50 victoires et cinq titres. A New York, pendant deux semaines, son tennis passionné électrise un public souvent absorbé par le hot-dog de son ou son voisin : jeu de coup droit explosif, gros coup de fond de court, montée au filet et dépréciation comme arme mortelle.
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Il n’y a pas si longtemps, le Grec Stefanos Tsitsipas, l’Allemand Alexander Zverev ou le Russe Andrey Rublev étaient annoncés comme héritiers de la sainte trinité de Federer-Nadal-Djokovic. Tous n’ont jusqu’à présent pas réussi à décrocher le Graal. Carlos Alcaraz vient de cuire leur courtoisie. Ou plutôt, pour reprendre les mots de Zverev, qui a été attiré par l’Espagnol à Madrid en mai, pour “leur botter le cul”.
Élisabeth Pineau