Mis à jour hier à 16h45.
                Marc-André Lussier La Presse             

Dans l’histoire des grands festivals internationaux, on peut compter sur les doigts d’une main les longs métrages documentaires qui ont remporté les plus hautes récompenses. On peut aussi compter sur les doigts de l’autre main les réalisateurs qui ont touché les plus beaux lauriers. Le nom de Laura Poitras s’ajoute maintenant à une liste qui, Dieu merci, commence enfin à s’allonger un peu. Grâce à Toute la beauté et l’effusion de sang, cette dernière est en effet la troisième réalisatrice primée à Venise en autant d’éditions (Chloé Zhao en 2020 avec Nomadland, Audrey Diwan en 2021 avec L’Événement). Le jury, présidé par Julianne Moore, a choisi de décerner la plus haute distinction au seul documentaire à concourir pour le Lion d’or. Comme point de départ, le film fait écho à l’action récente de l’artiste et militante Nan Goldin pour dénoncer Purdue Pharma. Propriété de la famille Sackler, on doit cette société, très impliquée dans le monde de l’art, à la production à grande échelle du médicament OxyContin, malgré le caractère hautement addictif de cet antalgique. Explorant la vie et la carrière de l’artiste, qui a vécu sa jeunesse dans les années 1960 et 1970, Laura Poitras dresse également un parallèle entre les luttes d’aujourd’hui et celles d’hier, l’action de Nan Goldin s’inspirant fortement de celle d’Act Up. mouvement au milieu de la crise du sida il y a plus de 30 ans. “J’ai rencontré beaucoup de gens courageux dans ma vie, mais jamais autant que Nan”, a déclaré Laura Poitras, émue, sur la scène de la Sala Grande. Non seulement elle s’est battue avec acharnement contre une grande entreprise comme Purdue Pharma, mais elle n’a pas non plus hésité à creuser à l’intérieur pour raconter chaque aspect de sa vie. » PHOTO AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE LA MOSTRA DE VENISE Nan Goldin est l’artiste et militante à qui Laura Poitras dédie son film Toute la beauté et l’effusion de sang. Le message social de Toute la beauté et l’effusion de sang et la façon dont le cinéaste s’en sert pour le promouvoir ont touché les membres du jury. “Laura a magnifiquement raconté l’histoire de cette femme qui a fait de l’art inspiré par sa marginalisation”, a déclaré Julianne Moore lors d’une conférence de presse. Et qui ont ensuite utilisé cet art dans leur activisme. »

Films doublement primés

Deux autres longs métrages se sont démarqués. Outre le Grand Prix du Jury, Saint Omer d’Alice Diop a valu au réalisateur français le prix du meilleur premier film. Ayant déjà fait sa marque dans le domaine du documentaire, notamment grâce à Nous, Alice Diop a mis à profit son expertise dans ce premier long métrage de fiction. Inspiré d’une histoire d’infanticide qui défrayait la chronique en France il y a quelques années, le réalisateur propose un drame à la fois sobre et puissant, confrontant le spectateur à ses propres certitudes. “Quand un documentaire remporte un prix dans un grand festival, tous les documentaristes sont contents”, a commenté Alice Diop en conférence de presse, exprimant son admiration pour Laura Poitras. Cela indique que le documentaire fait autant partie du cinéma que la fiction. » Banshees of Inisherin, un favori du public du festival, a remporté le prix du meilleur scénario, qui est allé à Martin McDonagh (qui produit également). Il a également remporté Colin Farrell la Coupe Volpi du meilleur acteur, dans une catégorie où il y avait beaucoup de bons prétendants. Cela s’est passé à Los Angeles, mais l’acteur a pu parler en direct au public. “Quelle semaine nous avons eu à Venise !” il a dit. C’est la deuxième fois que je travaille avec Martin [McDonagh] et je pense que je le remercierai pour le reste de ma vie ! » Bones and All, grand favori de la presse italienne, a également remporté deux prix. Le prix de la mise en scène est allé au réalisateur de cette romance cannibale, Luca Guadagnino, et le prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune interprète est allé à l’actrice canadienne Taylor Russell.

Six films primés de 23

La coupe Volpi de la meilleure actrice a été décernée à une autre grande star. Cate Blanchett, chef d’orchestre virtuose à TÁR, est revenue à Venise pour récupérer son trophée après avoir fait un détour par le festival Telluride dans le Colorado. D’abord saluant la direction du festival pour une sélection riche en diversité, l’actrice a tenu à rendre hommage à Todd Field. PHOTO DE GUGLIELMO MANGIAPANE, REUTERS L’actrice Cate Blanchett reçoit le prix Coppa Volpi de la meilleure actrice. “Aucun acteur ne peut recevoir un tel prix sans la contribution d’un bon scénario et d’un excellent réalisateur. Cet honneur revient à Todd Field. Je tiens également à remercier l’Orchestre de Dresde, mais aussi tous ceux qui font de la musique à travers le monde mettant leur ego de côté pour se mettre au service de la beauté.” Une standing ovation a également été réservée à Jafar Panahi, emprisonné en Iran, à l’annonce du Prix spécial du jury décerné à No Bears, son dernier long métrage. Le cinéaste se met en scène dans cette œuvre au ton plus sérieux, tourné en cachette. “Nous défendons le pouvoir du cinéma”, a déclaré Mina Kavani, l’actrice franco-iranienne qui, avec Reza Heydari, également à l’affiche de No Bears, a pris sobrement la scène au nom du réalisateur. Face au dilemme du choix (« Il fallait s’entendre sur les films dont on voulait discuter », confie Julianne Moore), le jury a finalement décidé de n’attribuer que 6 des 23 longs métrages en lice pour le Lion d’or. Des productions comme Blonde (Andrew Dominik), Athéna (Romain Gavras), La Baleine (Darren Aronofsky), Le Fils (Florian Zeller), Bardo (ou Fausse chronique d’une poignée de vérités) (Alejandro González Iñárritu) et quelques autres, toutes des propositions cinématographiques très fortes, pourraient également prétendre à quelques honneurs. Mais cela fait partie du jeu. Grâce à ce prix très prestigieux, Toute la beauté et l’effusion de sang, qui sera distribué au Québec par Entract Films (date de sortie non encore fixée), aura désormais droit à une projection renforcée, chose très rare pour une grande durée documentaire. Tant mieux.