Selon eux, cela fragiliserait le porte-monnaie des collatéraux européens victimes de représailles, mais cela aurait aussi un impact très faible sur l’économie russe, qui était sur le point de “s’effondrer”, pour reprendre les mots du ministre. Economie Bruno Le Maire, début mars. C’était en tout cas le but prétendu des restrictions d’accès aux différents marchés européens, l’exclusion de nombreuses banques du système bancaire Swift et d’autres restrictions adoptées dans sept pays. “On voit aujourd’hui que les sanctions énergétiques imposées à la Russie sont beaucoup plus douloureuses pour le peuple français que pour la Russie, qui croule désormais sous le cash”, a ainsi critiqué Jordan Bardella, vice-président du RN, lundi 5 septembre. Mais le Kremlin a-t-il vraiment gagné son bras de fer économique avec l’UE en limitant l’impact de ces sanctions sur l’économie, les industries et les ménages russes ? Le gouvernement russe continue d’afficher une poignée de bons indicateurs. Soutenue par l’État de plus en plus interventionniste, la monnaie locale, le rouble, s’est fortement appréciée depuis avril, après un creux en mars, pour se stabiliser à un niveau supérieur à celui d’avant-guerre. C’est la conséquence d’une forte demande extérieure pour cette monnaie payant des factures d’énergie beaucoup plus élevées que l’hiver dernier, malgré l’affaiblissement de l’offre d’hydrocarbures. “La hausse des prix compense en partie la baisse des volumes exportés”, explique Catherine Locatelli, chercheuse au CNRS et experte des industries de l’énergie et de la Russie. Selon un rapport (en anglais) du Center for Energy and Clean Air Research (Crea), un groupe de réflexion, les taxes sur les hydrocarbures ont rapporté à l’État russe 43 milliards d’euros au cours des six derniers mois. Fin juillet, le FMI a révisé à la hausse sa prévision de croissance de la Russie en 2022, passant de -8,5 % qu’il prévoyait en avril à -6 %. En termes d’emploi, le taux de chômage n’était que de 3,9% en juillet, le taux le plus bas jamais mesuré par Rosstat, l’institut russe des statistiques. “Nous pensons que le pic de la situation est passé”, s’est réjoui le président russe, mercredi 7 septembre, depuis Vladivostok. « La situation se normalise. Vladimir Poutine au Forum économique de l’Est Dans le journal, plusieurs analyses et rapports occidentaux mettent en doute l’exactitude des données chiffrées par Moscou. “Les statistiques économiques sont l’un des éléments de la guerre de l’information de la Russie”, rappelle Julien Vercueil, professeur d’économie à l’Inalco à Paris. “Il ne faut pas les croire”, balaye Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales pour l’Economist Intelligence Unit. “Nous pouvions compter là-dessus jusqu’à récemment, mais maintenant les statistiques sont publiées au compte-gouttes, alors qu’elles ne sont pas trop mauvaises.” L’économiste prend l’exemple du taux de chômage, proche du plein emploi. “Le taux de chômage de 3,9% n’a rien d’étonnant, car les entreprises ne licencient pas leurs salariés mais cessent simplement de les payer. Il y a un véritable appauvrissement des Russes”, assure-t-il. “Compte tenu de son évolution démographique, la Russie peut détruire des emplois tout en réduisant le chômage. Comme toujours, les données de Rosstat doivent être confrontées à des enquêtes de terrain par des organismes de recherche pour tenter de dépasser les biais”, argumente Julien Vercueil. “Les statistiques choisies par Vladimir Poutine sont utilisées de manière imprudente par des experts négligents pour faire des prédictions irréalistes favorables au Kremlin”, poursuivaient fin juillet des chercheurs de l’université américaine de Yale, auteurs d’une inquiétante étude (en anglais). . sur l’état de l’économie russe. Selon eux, les quelque 1 000 multinationales qui ont quitté le territoire russe représentent « environ 40 % du PIB russe ». Leur départ entraînera une baisse constante de la richesse produite dans le pays, même si Moscou essaie de proposer des alternatives aux produits occidentaux. Le logo d’un café de la marque “Stars Coffee”, qui remplace le groupe “Starbucks”, à Moscou le 18 août 2018. (PAVEL PAVLOV / ANADOLU AGENCY / AFP) D’autres éléments de preuve nuancent, voire contredisent, les déclarations publiques des responsables russes. Selon les statistiques officielles de l’Institut Rosstat, l’inflation est déjà de 15% sur un an et atteint plus de 40% pour des produits comme les pâtes et le riz. “L’économie résiste, mais elle est profondément déstabilisée”, résume Julien Vercueil. De plus, des pans entiers de l’économie se sont effondrés, comme la production automobile, qui a chuté de 96,7 % en mai dernier par rapport à mai 2021. « Certes, nous voyons des problèmes dans plusieurs secteurs et régions, dans des entreprises individuelles, en particulier dans celles liées à l’approvisionnement d’Europe ou qui fournissaient leurs produits aux Européens », avouait timidement Vladimir Poutine, mercredi 7 septembre. Le coup est particulièrement dur pour le secteur des hydrocarbures, “crucial pour la Russie”, rappelle Catherine Locatelli. « Il représente désormais un tiers du PIB et 50 % des recettes fiscales », plaide Agathe Demarais, qui estime que ces ratios « vont définitivement changer en 2022 ». “Une baisse potentielle des revenus pétroliers et gaziers est une épée de Damoclès pour la Russie”, insiste Julien Vercueil. Voilà pour le tableau que les experts ont peint jusqu’à présent. A long terme, l’impact des mesures prises contre la Russie devrait encore s’aggraver, comme l’a laissé entendre Catherine Colonna lundi 5 septembre. « Les sanctions fonctionnent et auront un effet croissant à mesure que nous réduirons notre dépendance aux hydrocarbures russes. [au] gaz naturel, puisqu’il l’a fait pour le charbon”, s’est défendu le ministre des Affaires étrangères sur RTL. Déclaration partagée par Agathe Demarais. “Les perspectives de l’économie russe ne sont pas bonnes pour 2023.” Agathe Demarais, économiste chez franceinfo Le gouvernement russe lui-même prédit une aggravation de l’économie dans les années à venir. Cela découle du rapport d’experts russes révélé lundi 5 septembre par le média américain Bloomberg (en anglais). Ce document confidentiel, produit fin août à la demande du Kremlin, décrit une économie dans un état bien plus préoccupant que ne le laisse entendre le mot officiel. Selon ce rapport, les conséquences des sanctions européennes sont énormes : croissance faible, importations atones dues à la faiblesse de la demande intérieure, difficulté d’approvisionnement en semi-conducteurs pour les missiles utilisés en Ukraine, fuite des cerveaux avec jusqu’à 200 000 informaticiens immigrés de Russie d’ici 2025. .. “L’accès à la technologie sera beaucoup plus compliqué”, prédit Agathe Demarais. En outre, la coupure du gaz naturel de la Russie vers l’Europe pourrait entraîner une perte de recettes fiscales de l’économie russe pouvant atteindre 6,7 milliards d’euros par an. Un rapprochement de la Russie avec d’autres puissances orientales telles que la Chine et l’Inde peut-il atténuer l’impact des sanctions ? “Le basculement vers l’Asie est très compliqué, notamment pour les exportations dites non marchandes, qui dépendent d’infrastructures très lourdes comme le gaz naturel”, explique à franceinfo Christine Dugoin-Clément, analyste à Paris-Sorbonne Affaires. École. “La Chine reçoit certes du gaz russe via des gazoducs et du gaz naturel liquéfié (GNL), mais ce ne sont pas des quantités capables de compenser ce que la Russie a livré à l’Europe”, abonde Catherine Locatelli. Pour la Russie, “l’avenir sera difficile à moyen et long terme”, insiste l’expert. Avec un coût faramineux d’environ 100 milliards d’euros pour les six premiers mois de la guerre, selon Crea, le conflit risque d’ajouter à la pression sur l’économie russe, de plus en plus isolée du monde occidental et causée par l’effort de guerre. Le fait que la Russie s’apprête à acquérir, selon certaines agences de renseignement occidentales, des équipements auprès de pays sanctionnés comme la Corée du Nord est le signe d’une difficulté croissante de la production locale, qui est pourtant une marque traditionnelle de l’armée russe. -complexe industriel”, assure Julien Vercueil. Dans ce contexte, Vladimir Poutine peut tout faire en arrêtant les livraisons de gaz naturel aux Européens, qui se détournent avec douleur des hydrocarbures russes. “Les Russes savent que c’est maintenant ou jamais qu’ils doivent agir pour punir l’UE”, analyse Agate Demarais. C’est la stratégie de la terre brûlée.”